Le jour de mon ordination, de nombreuses personnes m’avaient fait part de leur joie. Certaines de leurs réactions m’avaient laissé songeur : « Quelle chance vous avez : vous, au moins, Dieu vous a appelé !, C’est génial d’avoir la vocation, d’être branché en direct avec Dieu ! » J’avoue n’avoir jamais ressenti l’appel de Dieu de cette manière-ci. Encore moins de m’être senti le partenaire privilégié de Dieu, dans la grâce qu’il me faisait de devenir religieux et prêtre.
Si, pour les chrétiens, tout homme a une vocation, il faut reconnaître que l’on réserve souvent à ce terme un statut bien spécifique, celui du ministère presbytéral ou de la vie consacrée. N’est-ce pas trop réducteur voire frustrant ?
« Je suis, Me voici », tel est en haut lieu le nom de Dieu, celui qu’il délivra à Moïse au mont Horeb (Exode 3,14), nom d’appel divin intraduisible qui attend pourtant une réponse d’homme. Car, dans la Bible, Dieu appelle l’homme de nombreuses manières. Appel à la vie, appel à grandir dans un regard d’amour, appel à quitter le confort de ses structures sécurisantes, appel à élargir ses horizons, appel à parler haut et fort, envers et contre tous parfois. Ces appels réclament attention et vigilance, patience et écoute. L’homme tente une réponse, avec crainte et maladresse, mais c’est ainsi qu’il se construit. À chacun son expérience, et sa manière de vaincre, pour la dire, la dérision des mots. « Me voici », répondaient avec une belle assurance, dans la Bible, ceux que Dieu appelait. « Moi aussi », répondent comme en écho, les hommes, les femmes et les jeunes d’aujourd’hui. L’identité de l’homme n’est-elle pas tissée de la succession de ces « Me voici » qu’à notre tour nous formulons, comme autant de présences à l’appel ? Telle est, je le crois, la grandeur de la foi chrétienne : se découvrir appelé par Dieu à suivre le Christ, et participer au grand rassemblement des appelés qu’est l’Église.
Mais comment être sûr que c’est Dieu qui appelle, que je ne poursuis mon soliloque, me berçant de la délicieuse illusion qui m’enchante ? La question se doit d’être posée, le discernement s’impose. Jésus, qui ne cessait pas d’aiguiser l’écoute de ses disciples, les invitait tout autant à veiller au fond et à la forme de cette écoute : « Attention à ce que vous entendez ! » (Marc 4,24), « Prenez garde à votre façon d’entendre ! » (Luc 8,18). Parce que l’écoute implique l’engagement de la personne, il est bon d’y consacrer toute son attention, de convoquer sa raison pour qu’elle comprenne la parole de celui dont on ne peut parler. Répondre à l’appel, c’est souvent faire surgir ce qui est déjà là, présent en soi, et qui n’attend qu’à s’épanouir.
Celles et ceux qui se sont un jour engagés auprès des prisonniers, des malades en fin de vie, des enfants illettrés, des adolescents partis à la dérive, qui s’en sont allés à l’autre bout du monde pour aider leurs semblables, victimes de la misère, des guerres et des famines, celles et ceux qui ont décidé de se réaliser pleinement homme, pleinement femme dans un choix de vie consacrée justement au Tout Autre, à l’autre, à tous les autres, ont rendu manifeste une voix qui les a précédés et qui est venue de plus loin qu’eux. Ces disciples des temps nouveaux ont suscité à leur tour des auditoires, par le témoignage de leur vie, appel entendu, bonne nouvelle répandue.
P. Sylvain Gasser, assomptionniste, journaliste et musicologue.
(1) Extrait de 100 raisons de vivre en chrétien, p. 125, Sylvain Gasser, Bayard Editions, 2017. Photo : CIRIC
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